Une envie de tapis, puis un projet et beaucoup de courage. C’est l’histoire d’une coopérative artisanale de la région de Meknès, lancée par Karima Bouchaara, une battante infatigable qui a réuni autour d’elle une équipe de femmes artisanes tisserandes sans emploi ou en situation précaire.
Yalla Mama est ainsi née de la volonté de valoriser le talent de ces femmes aux doigts de fées, de relancer la production locale du tapis boucharouette de manière écologique, solidaire et contemporaine.
Exclusivement fabriqués à partir de chutes d’usines de confection marocaines, les tapis de Yalla Mama s’inscrivent dans une démarche équitable. Nous avons rencontré quelques unes de ces femmes aux parcours émouvants qui ont retrouvé foi en la vie. Une formidable aventure humaine.
Née d’une rencontre entre des mères courage au savoir-faire ancestral en voie de disparition et une femme entrepreneure et combative, Yalla Mama mêle avec justesse l’art du tissage traditionnel marocain et le design contemporain, sobre, voire minimaliste.
Malgré leur talent et leur savoir-faire rare, ces femmes artisanes étaient marginalisées. Pas assez valorisées pour vivre de leur métier, elles l’ont laissé de côté. Et pour subvenir aux besoins de leur famille, elles faisaient du ménage. Faute de demandes et de moyens, la plupart des métiers à tisser (machines utilisées pour fabriquer du tissu) étaient soit vendus ou laissés à l’abandon dans un état très abîmé.
Si l’artisanat marocain est extrêmement prisé, il ne permet pas pour autant aux petites mains d’en vivre convenablement, notamment en raison d’intermédiaires peu scrupuleux. “Le problème de ces femmes, c’est qu’elles savent créer, mais ne savent pas vendre. Pour vivre de son artisanat, il faut le vendre, c’est pour cela que je me bats. Pour que ces femmes ne soient pas exploitées par des intermédiaires qui, à la fin, les paient une misère”, déclare Karima au HuffPost Maroc. “Yalla Mama, c’est donc un appel à une nouvelle manière de valoriser notre artisanat pour le préserver et l’enrichir, et envisager également de nouvelles manières de le produire, qui profiteraient à tou(te)s”.
Avant d’entamer ce combat, Karima Bouchaara gérait sa boîte de communication pendant 17 ans. Elle est également présidente du festival international du cheval de Meknes-Tafilalet depuis plusieurs années. C’est une véritable boule d’énergie qui aime relever les défis. Après la perte tragique de son époux, elle cherche un nouveau sens à sa vie. C’est à ce moment-là qu’elle rencontre ces “mamas”.
“Elles m’ont donné la force de continuer à me battre, c’est, en quelque sorte, mon tapis volant”, confie-t-elle avec beaucoup d’émotion. “Aujourd’hui, je me bats pour représenter Yalla Mama dans des expositions à Paris, à Copenhague… Avec l’aide du président de la Chambre de l’artisanat qui nous aide énormément”.
Pour l’instant, Karima travaille avec 4 “mamas” qui sont le noyau dur de Yalla Mama. “Évidemment, quand nous avons de grosses commandes, nous faisons aussi appel à d’autres femmes. Nous avons commencé à former des jeunes filles à ce métier en disposant des métiers à tisser dans nos bureaux. Nous comptons également prendre en résidence des jeunes filles d’Azrou à compter de septembre prochain afin de perpétuer ce savoir-faire ancestral”, explique-t-elle.
Mama Amina est sourde et muette, c’est la fille de Mama Itou, une femme très âgée. Elle n’a jamais appris le langage des signes, ce qui l’a complètement coupée du monde. Elle adore tisser, c’est sa petite “bulle d’expression”. La mère et la fille vivent ensemble et elles se battent pour survivre. “Malgré son handicap, Mama Amina est celle qui me comprend le mieux, il y a une sorte d’alchimie entre nous, qui dépasse les mots et les langages. On communique avec le cœur”, raconte Karima.
Sa mère, Mama Itou, a beaucoup souffert pour subsister aux besoins de sa fille handicappée. Elle fabriquait avec sa fille des petits tapis avec leurs propres moyens. Ensuite, elle partait les vendre sur la place Lahdim à Meknès, pour quelques pièces. Une tâche parfois difficile, car les acheteurs étaient si rares que Mama Itou se devait de brader ses tapis pour avoir de quoi rentrer et souper chez elle. “C’est l’une des femmes les plus fortes que je connaisse”, indique Karima.
Mama Fatna est très conciliante. Elle mène une vie incroyable et prend en charge, en plus de sa fille, son mari et son fils, tous deux sans emploi. C’est elle qui fait vivre toute la famille. “Elle a l’avantage d’avoir une ouverture d’esprit, une modernité et une sensibilité qui lui sont propres. Elle arrive à créer des choses extrêmement modernes”.
Mama Aziza est une dure. Elle représente la vraie image de la matriarche. C’est elle qui assure tout dans son foyer et subvient aux besoins de sa famille qui compte notamment sa fille divorcée, revenue vivre à la maison familiale avec sa petite fille, ainsi que son fils, sa femme et ses deux enfants qui vivent avec elle. “C’est elle qui paie le loyer et qui travaille pour tout ce petit monde”.
“Nous avons installé des métiers à tisser dans leur domicile afin qu’elles puissent continuer à créer sans avoir à se déplacer. Mais il faut souligner que ces femmes d’un certain âge n’ont aucune retraite, aucune sécurité sociale. Ce travail leur permet, aujourd’hui, de vivre dans la dignité”.
“Bientôt, une nouvelle mama va nous rejoindre, c’est l’artiste peintre Asmaa Laâroussi. Divorcée, elle élève seule sa fille avec beaucoup de courage. Elle va peindre ses toiles sur des chaises marocaines chinées. Une manière, pour nous, de redonner vie à des objets délaissés et d’apporter une touche d’originalité et de poésie à nos créations”, se réjouit Karima.
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